Atelier d’écriture : HisToiRe PouR TouS

Merci, Père-Noël

Merci, père Noël...

 

 

    En cette période, tout dans la ville avait un goût de Noël. Partout où se posait son regard, Maeglin voyait des guirlandes électriques, des pères Noël factices ou des vitrines vantant à coup de néons, divers jouets, jeux vidéo ou remises exceptionnelles sur des produits ou services quelconques. Même en fermant les yeux, il ne pouvait échapper à l'ambiance générale. Assourdi par des rires et des chants de Noël et incommodé par une odeur de sapin mélangée à celles du vin chaud et de pâtisseries en tous genres, il n'avait aucune possibilité de fuite. Sa petite taille l'obligeait même à subir les incessantes invitations à s'assoir sur les genoux de vieux hommes déguisés en père Noël, chose qui, bien qu'amusante – par l'ambiguïté de telles invitations – avait tout de même le don de l'agacer. Malgré sa jeunesse, Maeglin avait une personnalité mature et surtout désabusée sur tout ce qui l'entourait. Il n'avait bien sûr rien contre le fait de recevoir des cadeaux et de déguster un lourd et bon repas, ce qui le dérangeait était le principe de cette fête. Tous ces rires, ces lumières, ces musiques, cette gaieté mal placée pour l'anniversaire d'un personnage mort depuis des lustres et auquel la moitié des personnes présentes ne croyaient même pas. Il ne voyait pas de raison de sourire et d'être joyeux dans un lieu comme celui-ci.

–                   Souris-donc, Maeglin, lui soufflaient ses parents, tu vois bien que tout le monde est de bonne humeur. Fais au moins semblant pour ta petite sœur.

–                   Vous voulez rire ? Vous m'avez payé pour qu'elle puisse continuer à croire en ce qui n'existe pas et vous me demandez maintenant de m'intéresser à son bien-être, il va falloir vous décider.

    Cette remarque clos le sujet pour toute la soirée. En rentrant chez lui, il ne tarda pas à s'effondrer dans son lit. Dévoré par la fatigue et la lassitude, il s'endormit.

    Ce fut le bruit d'un éboulement qui eut raison du sommeil de Maeglin. Il se réveilla en sursaut et couru jusqu'à la fenêtre où un spectacle captivant l'attendait. Une boutique venait de s'écrouler, comme trois de ses voisines. Les guirlandes électriques étaient presque toutes à terre, faisant trébucher des passants visiblement terrorisés, hurlant et courant en tous sens. La plupart des vitrines étaient en miettes et l'odeur de sapin avait cédé sa place aux lourdes fumées qui se dégageaient de plusieurs bâtiments enflammés. Maeglin était à la fois effrayé et envoûté par une telle vision, si bien qu'il n'entendit pas immédiatement les appels de ses parents.

–                   Maeglin ! Cria sa mère en entrant dans sa chambre. Ne reste pas devant cet fenêtre ! Il faut partir !!!

    Arraché de force de sa chambre, il rejoignit son père et sa sœur dans le salon. En voyant l'allure apeurée de cette petite fille de huit ans, il reprit ses esprits et tenta de la rassurer puis s'informa sur la situation.

–                   Que se passe-t-il, au juste ?

–                   Je ne sais pas, tout ce que je vois, c'est que des bâtiments prennent feu, que d'autres s'écroulent et que tous les habitants de la ville courent. Il faut partir !

–                   Restons calmes, avec ces passants déchaînés, mieux vaudrait sans doute rester et s'abriter dans la cave, les feux sont loin et des pompiers interviennent au lieu de fuir, la situation ne doit donc pas être si critique. Le mieux serait que vous alliez vous calmer et vous planquer, je vais voir ce qu'il se passe.

–                   Tu es un enfant ! Je m'en occupe, lui dit son père.

–                   Non, toi va plutôt essayer d'aider. Avec un tel mouvement de panique, il y a forcément des blessés, va donc jouer les héros. Pas le temps de discuter.

    Il craignait que son père, dépassé, ne sache comment interpeler quelqu'un pour le questionner. Un fois hors de vue de son père, il visa un homme au hasard dans la foule, et lui fit un croche-pied. Il se vautra aux pieds de Maeglin de façon magistrale.

–                   Aïe ! Non mais ça va pas ?! Ne restez pas là, courez !

–                   Pourquoi ? Que se passe-t-il ?

–                   Mais t'es aveugle ou quoi petit ?!

–                   Je vois une foule qui court, pourquoi court-elle ?

–                   Y a tout un tas de bâtiments qui explosent les uns après les autres, le pourquoi, j'en sais rien, mais ce qui est clair, c'est que je vais sauver ma peau et tu ferais bien d'en faire autant. Même les pompiers ont abandonné.

    Il laissa l'homme s'en aller et prévint sa mère et sa sœur que son idée était finalement mauvaise et que rester dans la maison s'avérait dangereux. Il fallait partir.

–                   On se retrouvera bien à un moment ou un autre, restez loin de tout ce qui peut exploser ou vous tomber dessus, je vais chercher papa.

    C'était lui qui l'avait poussé à jouer les héros, il devait faire quelque chose. Se frayant un chemin à travers le courant de la foule, il courut longtemps. Il arriva à un endroit où tout était calme, il s'était retrouvé – sans trop savoir comment – dans l'un des bâtiments écroulés. La poussière était retombée et toute la ville semblait avoir déserté. Sans les phare de voiture et les lampadaires, il se rendit enfin compte qu'il faisait nuit. Il n'en avait pas eu le temps avant. Il savourait ce silence nocturne quand une voix l'interrompit.

–                   Tu n'es pas paniqué ?

    Il se retourna et aperçut un vieil homme déguisé en père Noël, l'air serein.

–                   Il n'y a plus d'explosions depuis cinq bonnes minutes, avec un peu de chance, il n'y en aura plus. Et vous ?

–                   Oh non, je suis le père Noël, de quoi aurais-je l'air si je courais ?

–                   Vous rigolez ou vous avez un grain ?

–                   Ma barbe est un vraie barbe, ça peut constituer une preuve. Enfin, il n'empêche que les explosions n'ont pas fini de retentir.

–                   Et comment pouvez-vous dire ça ?

    C'est alors qu'un autre bâtiment à une centaine de mètres de celui-ci vint appuyer les dires du vieil homme en s'écroulant.

–                   Bon d'accord, c'est pas fini... Au départ, je cherchais mon père, mais il semble avoir déserté, donc maintenant je cherche une réponse. Savez-vous ce qu'il se passe.

–                   Oui, et toi, es-tu prêt à m'écouter ?

–                   Bah j'ai pas grand chose d'autre à faire, et je doute que ce bâtiment soit encore touché donc...

–                   Très bien. Je vais essayer d'être bref. Déjà, sache que chaque ville est construite à partir d'une pierre, une seule et unique pierre qui maintient un certain équilibre dans la ville. Autant l'équilibre des bâtiments que celui des habitants. Mais celle-ci n'est pas invincible. Dans une ville, il doit y avoir un équilibre entre bien et mal, entre bonté et cruauté, entre joie et tristesse, entre bonne et mauvaise humeur. Seulement, Noël a la capacité de mettre tout le monde de bonne humeur, d'éliminer les pensées tristes et de se concentrer sur l'instant présent. Tout ceci a contribué à fissurer, petit à petit la pierre. Et aujourd'hui, vingt-quatre heures avant le réveillon, la pierre s'est brisée, anéantissant l'équilibre.

–                   Très élaboré, bravo. Mais votre histoire a tout de même quelques lacunes. Déjà, une pierre... Vous auriez pu être plus original, ça a déjà été fait et refait. Ensuite, comment expliquez-vous que ce soit la seule ville à subir ça ? On en aurait entendu parler si ça avait eu lieu ailleurs. Et...

–                   Je t'arrête tout de suite, je n'avais même pas fini. Pour l'originalité, je n'y peux rien. C'est comme ça. Cette ville n'est pas la seule à subir ça, seulement, quelqu'un intervient toujours pour remettre de l'ordre et comme ordre va avec bâtiments debout, la régénération de la pierre remonte également le temps. Laisse-moi maintenant en venir au plus important. Même de pareilles explosions n'auraient normalement pas pu avoir raison de tout bon sens, tu t'en doutes. Tu auras pourtant remarqué que personne, mis à part nous deux n'a été capable de garder un minimum de sang froid. Il s'agit également de l'un des effets de la rupture de la pierre.

–                   Si vous me sortez que nous sommes les élus ou quelque chose comme ça, je vais devoir vous gifler, d'abord parce qu'il est hors de question que je fasse équipe avec un vieil homme déguisé en père Noël – qui plus est avec une vraie barbe – mais aussi parce que, là aussi, vous feriez preuve d'un immense manque d'originalité.

–                   Pas exactement, on peut dire que je suis un élu, en quelque sorte, puisque je fais partie de l'équipe des gardiens rouges – rouges à cause du costume – mais toi, tu n'es que temporaire. On peut dire que tu as gagné un concours. Tu es complètement blasé et en plus, tu es un gosse, ça fait deux bons point qui font que tu es le plus apte à sauver ta ville, petit. Pour contrer un excès de bonne humeur, il faut de l'indifférence ! Bon, c'est pas tout ça, mais il va falloir s'y mettre.

–                   Vous voulez rire, j'espère ? C'était une histoire très élaborée qui vous aura sans doute pris deux minutes à confectionner, mais, ce n'est pas parce que je suis un « gosse », que je vais avaler ça.

–                   Tu discutes avec un vieillard que tu prends pour un dingue au milieu d'une ville qui explose au lieu de retrouver ta famille, le gosse blasé que tu es a donc certainement envie de sensations fortes, n'est-ce pas ? Prend-donc la peine d'essayer.

–                   Allons-y...

    Maeglin écouta jusqu'au bout les explications de son interlocuteur –  non sans l'interrompre régulièrement pour lui signaler son manque d'originalité – et décida de le croire après l'avoir vu envoyer ce qu'il appelait « la boule de feu de Noël ». Autour de lui, de plus en plus de bâtiments avaient déclaré forfait. Il s'avança entre deux boutiques en flamme et prononça une formule des plus ridicules avant de voir apparaître la plus ignoble des créatures qu'il pouvait imaginer. Elle était dotée d'un visage enfantin dégoulinant de joie de vivre et était entièrement vêtue de guirlandes vertes, rouges et ors. Ses quatre pieds étaient affublés d'atroce chaussures de lutin vertes et ses six mains de gants de laine multicolores. La créature fut la première à passer à l'attaque avec un chant de Noël chanté d'une voix suave. S'équipant immédiatement de boules-Quiès, Maeglin répliqua à coup de critiques cinglantes sur son chant. Le démon lança alors férocement une ribambelle de cœur en papier qui fut sèchement déchiré après réception. Sans perdre espoir, le monstre de Noël attrapa l'enfant et le serra cruellement dans ses bras. C'est alors que le père Noël – jusqu'alors trop enfoncé dans son fou-rire pour intervenir – reprit son sérieux et lança une épée au héro intérimaire. La lame blanche s'accordait parfaitement avec la garde, ornée de deux pointes. La poignée, quant à elle composée de deux salamandres entrelacés se finissaient par un pommeau en forme de flamme, sortant de la gueule des deux bêtes. Maeglin attrapa l'arme au vol et repoussa la créature qui l'agrippait.

–                   Je suis Maeglin le blasé, détenteur de la lame classe ! Ta bonne humeur ne te servira à rien, créature infernale ! Repars dans l'ombre ! Tu ne rendras pas ma ville joyeuse !!!

    Sur ces paroles, prononcées d'une voix héroïque, il enfonça sa lame dans le torse de l'ignominie. Elle s'agenouilla, reposa délicatement son otage et se mit à pleurer, changeant de regard pour montrer les yeux les plus tristes du monde. Le père Noël semblait prêt à prendre la bête dans ses bras, à lui accorder la vie, mais, avec regard froid, Maeglin lui trancha la tête en deux, sur la longueur. Pendant qu'elle explosait en un millier de jolies petites étoiles, Maeglin adressa au vieil homme le même regard et lui rendit l'épée.

–                   Pas étonnant que vous ne soyez pas capable de faire vous-même le boulot, si vous accordez votre pitié à cette chose. Ridicule...

    Le père Noël le remercia chaleureusement et lui promit un cadeau exceptionnel qu'aucun proche ne lui aurait jamais offert. La ville reprit son aspect tandis que les habitants effectuaient leur trajet en sens inverse en vitesse accélérée.

–                   Allez, au-revoir, petit ! Avec un peu de chance, on se reverra, si tu vis assez longtemps pour assister une seconde fois à une rupture. Et n'oublie pas : Pas de pitié !!! Lui dit-il en embarquant dans son traineau violet, tiré par un deux girafe et un ours polaire volant.

–                   Adieu ! Répondit-il.

    Soudain, la ville devint complètement blanche et il se retrouva allongé dans son lit. Accompagné par une impression d'allégresse et de légèreté, il tourna la tête vers sa table de nuit et aperçut un sachet plastique remplit d'une étrange poudre blanche. Le paquet était visiblement déjà entamé. Ça explique tout, se dit-il. Il en reprit un peu avant de resombrer.  Après avoir volé dans des nuages multicolores en parlant avec les girafes et l'ours, il se réveilla dans un autre lit que le sien. Les murs et le plafond étaient blanc. Ses parents étaient assis à côté de lui. Ils avaient un air contrarié en lui montrant le paquet presque vide.

–                   Où t'es-tu procuré ça ! Demanda son père, en essayant de ne pas crier.

–                   Il est si jeune, continuait sa mère, à moitié en larme.

–                   Répond !

    Il fit alors ce qu'on lui reprochait si souvent de ne pas faire, il sourit.

- C'est le père Noël, de l'ordre des gardiens rouges, qui me l'a offert...



06/01/2014
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