Prophéties, à croire ou à fuir
7h38.
J'entendais déjà d'ici la voix de ma mère qui m'appelle pour me réveiller. Pas étonnant, à ce rythme là, j'allai être en retard.
L'heure, c'est l'heure, alors je finis par me lever et ouvrir les rideaux. Dehors il faisait nuit, comme toujours d'ailleurs. Ici, c'est comme ci le Soleil était une légende. A vrai dire, personne n'a jamais vu un rayon de soleil sur Terre, même un tout petit. C'est le noir complet depuis....et bien depuis la création du monde je suppose. J'avais déjà beaucoup voyagé avec mes parents, mais partout c'était la même chose : la nuit à perte de vue.
Je descendis l'escalier, et entama mon habituel matinée, à la lueur des bougies. Papa refusait d'utiliser de l'électricité maintenant. Son refrain habituel était devenu : « A ce prix-là, vous n'imaginez même pas tout ce qu'on pourrait avoir ! » et ce, depuis que le prix de l'électricité avait fortement augmenté. Cela dit, ça n'empêchait pas la mairie, d'illuminer toutes les rues avec des décorations lumineuses les jours de fêtes. Ces temps-ci on en voyait beaucoup avec Noël et le Nouvel An qui approchaient, mais avec mon amie Jill ça nous arrangeaient d'aller à l'école sur un chemin éclairé.
Il était l'heure de partir; j'embrassa ma mère, mon père me remit un peu d'argent, et je pris ma lampe torche par réflexe.
Une journée sombre et glaciale, ce n'était pas ce qu'il y avait de mieux pour fêter la nouvelle année. Mais on dit que cette année sera différente.
Plusieurs sortes de prophéties on était faites il y a des années déjà par des petits peuples morts aujourd'hui. L'une d'elle dit que cette année, le Soleil apparaitra. Mais une autre dit aussi que ça sera la fin du monde. Cette fin du monde sera précédée par des tas de catastrophes naturelles, pour que les hommes puissent payer du mal qu'ils ont fait subir à la nature. Seul problème, ces deux « prédictions » coïncident à la même date : cette année même, le jour de l'An soit dans 5 jours.
La plupart de mon entourage prennent ça pour des bêtises, et l'Etat aussi. Mais moi j'y crois. Jill est la seule à me soutenir, même si je sais qu'elle est toujours un peu sceptique quand je parle de ces choses-là. Elle n'arrive pas à comprendre pourquoi je ne crois qu'à une seule des prédictions, celle du Soleil.
Je finis par rejoindre Jill et mon meilleur ami, Kevin, à l'angle de la rue.
La journée s'écoula lentement, puis enfin, la sonnerie libératrice des cours retentit.
On se rua tout les trois vers le petit marché. C'était devenu un rituel pour nous. On flanait, paresseusement entre les stands, parfois on regardait de plus près. Kevin était déjà arrivé près de l'étalage de jeux vidéos. Nous l'abandonnâmes avec Jill pour voir le kiosque à journaux.
Comme à son habitude, Jill prit le dernier du News Tag pour son père. Pendant qu'elle recomptait sa monnaie à donner à Tom, je regarde les autres journaux et magazines. Un gros titre finit par attirer mon attention. Je saisis le journal et contempla l'image représentant un glissement de terrain. En dessous la légende indiquait Sao Paulo.
Je feuilletais fébrilement le journal; à chaque page, on voyait une catastrophe et un article détaillant l'horrible événement ainsi que des consignes de sécurités à suivre au cas où on vivrait la même expérience.
Jill me donna un coup de coude, je relevais la tête. Le vendeur me regardait de travers. En rougissant, je fouillais mes poches pour sortir quelques pièces.
« Deux euros quatre-vingt, mademoiselle »
Il me manquait vingt centimes.
« Tu peux me compléter ça s'te plait, je te rembourserai ça. »
On finit par donner l'argent à Tom puis on s'éloigna pour retrouver Kevin, deux stands plus loin.
-Regardez ce que j'ai trouvé ! Les zombies de l'espace 2 à seulement 27,99 ! A ce prix c'est pas croyable ! Remarque, à ce prix, c'est peut-être une arnaque...
-Regarde ça Kev', l'interrompis-je en mettant le journal sous son nez, toutes ses catastrophes....d'un coup !
-Oui mais, précisa Jill en plissant le nez, d'un coup comme ça, c'est pas naturel.
-La prophétie Jill, m'exclamai-je, c'était dit ! Ils l'avaient prédit !!
Et comme pour me donner contenance, je commençai à lire à la lueur d'un réverbère, le passage sur l'avalanche qui avait eu lieu dans l'Himalaya.
-Mouais, possible, bougonna Kevin quand j'eus terminé ma lecture, tu dis qu'il y en a d'autres dans ce genre ?
Pour toute réponse, je secouai le journal.
-Très bien, admit Jill, c'est possible alors que la prophétie lié aux catastrophes se produise, au quel cas, la fin du monde ne va pas tarder. Et jusqu'à maitenant, on ne parle nul part de celle sur le Soleil.
Cela ne suffit pas à me décourager. L'attitude pessimiste de Jill, je connaissais, très bien même.
-Il reste 5 jours Jill, répliqua Kevin, tout peut arriver.
Jill renifla avec dédain
-Si tu le dis, de toute façon on peut rien faire, alors...a demain les gargouilles.
Sur ces derniers mots, elle tourna dans sa rue. Kevin me regardait avec un sourire triste.
-Elle a pas tort 'Mily, quoi qu'il arrive, on ne peut qu'attendre et regarder. A demain.
Puis il partit également.
Je refusai de croire que ce n'était pas possible. La preuve était sous nos yeux, alors il y avait peut être de l'espoir. Ou de la peur. Je me hâtai de rentrer à la maison et je finis par courir aux deux derniers mètres.
Surexcitée, j'attendis avec impatience l'heure du dîner, en lisant le journal au complet. Il y avait de tout : avalanches, tremblements de terres, incendie, tsunami, inondations, vague de froid ou au contraire vague de chaleur, ouragans, tempêtes, réveils de volcans et deux ou trois crash en mer accompagnés de disparitions mystérieuses en mer. Personne n'y avait manqué, tous les continents y avait eu le droit.
Enfin, quand mon père fut rentrer, on s'installa à table. Je lui passais le journal, toute souriante.
Il le lut de long en large pendant que ma petite sœur détaillait sa journée à notre mère, et mon grand frère qui ne cessait de commenter l'improbabilité des réalisations des prophéties.
Au bout d'un moment, mon père reposa le journal. J'attendis, suspendue à ses lèvres.
« Rien » finit-il par dire après avoir avaler une bouchée de riz.
Sous le choc, je me figeai.
-Rien ? Mais Papa, tu l'as lu toi-même ! Toutes ses catastrophes sont arrivés un peu partout dans le monde ! Comme dans la prophétie !!
-Tu es vraiment immature pour croire des histoires pareilles, ricana mon frère.
-Ce n'est pas sous prétexte que tu as quatre de plus..
-Ca suffit, coupa la voix de ma mère.
Nous nous tûmes, mais je ne pus me retenir de lancer un regard noir à mon abruti de frère. Peter répondit par un sourire moqueur.
-Emily, dit mon père d'une voix lasse, ce ne sont pas des bêtises toutes ces catastrophes, ça je ne peut pas le nier, mais c'est un résumé de tout ce qui est arrivé dans l'année ma chérie, pas récemment.
Ce fut comme-ci on m'avait donné une claque. Pendant un moment, le silence plana dans la pièce, et ce fut ma sœur, Elodie qui le rompit.
-Mais la prophétie ne disait pas que les catastrophes arriveraient d'un coup.
Elle me regarda avec son habituel sourire de petite fille, qui montrait son soutien.
-Il n'y a rien qui prouve quelque chose, riposta mon père agacé, et maintenant la discussion est close !
Et personne n'ajouta un mot là-dessus durant tout le dîner. Et même plus du tout pendant quatre jours.
Je passai mes temps-libres à la bibliothèque, à la recherche de la fameuse prophétie en entier pour appuyer les dires de ma très chère sœur. Mais mes efforts ne payèrent pas et je dus renoncer. Le Soleil ne s'était pas montré bien que les journaux ne parlaient que des prophéties à quelques jours de la nouvelle année.
Ce fut le soir du 31 où mon cœur se serra. Dans l'impatience d'avoir une réponse, je restai face à la télévision, zappant de chaines en chaines pour voir si la nouvelle d'un rayon de Soleil apparaissait.
Elodie était resté près de moi, mais elle paraissait plus inquiète. Peter était également descendu pour aider ma mère à la cuisine, en riant chaque fois qu'il sortait la tête pour voir si il y avait du nouveau. Je le soupçonnai de croire aux prophéties mais je me gardai bien d'évoquer le sujet à haute voix. A chaque minute passé, un poids m'écrasai davantage.
Enfin minuit sonna. Il ne se produisit rien, ce dont Peter ne manqua pas de souligner. Nous passâmes à table après s'être échanger nos vœux.
En plein repas, le téléphone sonna, je décrochai, m'attendant à des vœux de bonnes années, mais ce fut la voix de Jill qui cria dans le téléphone.
« On l'a vu ! A ma fenêtre Em' !! Le ciel est un petit peu bleu clair !!! »
Je sursautai et abandonnai le téléphone pour courir dehors. Le noirceur de la nuit commençai à s'estomper pour devenir grisâtre puis un peu plus loin, bleu clair couvert de nuages.
Je n'eus pas besoin de les appeler, ma famille était sortir voir et contemplèrent ébahis le ciel. Je ris en voyant leurs têtes, en particulier celle de Peter, et Elodie se jeta dans mes bras.
-C'est beau, murmura t-elle.
Mon père finit par décider qu'on devait rentrer, ce qu'on fit mais tout le monde décida à l'unanimité d'ouvrir les volets.
Je mis du temps à m'endormir, incapable de m'arracher à la contemplation du ciel qui s'éclaircissait minute par minute.
Le temps s'écoulait et je ne sus au bout de combien de temps, la terre trembla. Les murs semblaient se fissuraient. Je restai figée, incapable de bouger, de faire quelque chose, même d'avertir ma soeur qui semblait n'avoir rien sentit et dormait encore. Peter ouvrit la porte à la volée.
-Sortez ! Nous cria t-il.
Je sautai de mon lit et pris Elodie dans mes bras. Elle immergeait tout juste du sommeil, sans comprendre la situation mais s'agrippa à moi.
Peter nous pressa, et prit Elodie sur ses épaules. Nous descendîmes l'escalier, et plongeâmes sous la table.
La voix de ma mère nous parvint, et elle sortit de sa chambre qui se situait au rez de chaussé. Elle nous rejoint sous la table.
-Papa, criai-je, où est Papa ?
Ma mère avait les larmes aux yeux. Elle nous serrait à tour de rôle, en essayant de nous rassurer, mais ses paroles s'entrechoquaient et restaient incompréhensible. Elodie fondit en larme, et je sentai que je n'allai pas tarder à l'imiter. Peter resserra son étreinte autour de notre petite soeur. Les murs continuaient de trembler, le sol aussi, des bouts de plafonds se détachaient. Un grand bruit de fracas retentit au dessus de nos têtes. Effrayée à l'idée que la table allait s'écrouler sur nous, je m'écartai de ma protection. Ma mère cria, tentant de me faire revenir, mais c'était trop tard. Quelque chose s'effondra sur moi. Horrifiée, je vis les yeux humides et effarés de ma mère, ma soeur et mon frère.
Puis ce fut le noir et je sombrai.