Atelier d’écriture : HisToiRe PouR TouS

Un Nouvel espoir

         Je désactivai mes capteurs internes et me laissai glisser le long du mur de la terrasse. Dans exactement deux minutes, la base de données de la Centrale se mettra à paniquer, cela activera la localisation satellite gouvernementale et ils me trouveront dans la seconde, grâce à cette puce électronique qu’on nous implante à la naissance, et un mini drone armé d’une caméra viendra se braquer droit sur moi.

         Orwell était un visionnaire finalement. Big Brother est partout. Sauf qu’ici on l’appelle la Centrale. Impossible de faire un pas sans que leurs agents ne soient au courant. Tous nos capteurs internes envoient des signaux directement dans leur base de données et à chaque action suspecte ils envoient leurs drones de surveillance.

         La liberté est un mythe.

         Je profitai donc de mes deux minutes de tranquillité pour observer les étoiles. La rêverie est interdite. Il paraît que cela vous amène à réfléchir, et réfléchir est mauvais pour la santé. C’est plutôt mauvais pour leur dictature oui. Dix heures de travail par jour, vous rentrez manger et vous vous couchez. Pas de flânerie. Quoiqu’il existe une certaine tolérance pour les balades nocturnes, tant que vous ne faites que vous promener et seulement pendant un temps imparti, on ne viendra pas vous chercher querelle.

Un seul jour de repos par semaine. Et encore, étroitement surveillé. Un seul faux pas, une seule incartade aux règles et on vous tombe dessus.

         Les règles. Il y en a tant et elles nous sont inculquées dès le plus jeune âge. Impossible de dire par la suite « Je ne savais pas. ». Cela me rappelle ce que j’ai lu par rapport aux guerres des anciens. Sur le fait qu’ils apprenaient les valeurs de leurs gouvernements aux enfants en bas âge et les endoctrinaient entièrement avec leurs idéaux douteux.

Mais, ici la connaissance également est interdite, elle est subversive. Tout ce qui concerne l’ancien temps est censé avoir été détruit. Allez savoir comment le vieux Zhaan a pu garder tous ses livres d’histoire dans lesquels j’ai tant appris. Heureusement que les seules choses que la Centrale ne peut épier sont les pensées car je serai déjà emprisonné à l’heure qu’il est. Et je suppose que je ne serai pas le seul. Mais ça… impossible d’en être sûr, chacun fait profil bas, un seul coup d’oeil non règlementaire et vous seriez cerné de drones de surveillance.

         J’entendis le sifflement caractériel du drone et me levai aussitôt pour feindre une activité quelconque. La boule métallique déboula devant moi tandis que je triturais le cadran numérique de la baie vitrée. La voix féminine robotisée, qui gérait depuis toujours tous les appareils électroniques, retentit aussitôt et me parut plus stridente qu’à l’ordinaire dans ce silence nocturne.

« Code d’identification C25Z3000, vos capteurs ont été réactivés. Veuillez expliciter les raisons de cette désactivation impromptue. »

         J’haussais imperceptiblement les épaules.

         - Je ne m’étais pas rendu compte qu’ils avaient cessé de fonctionner. Peut-être un problème de connexion ? Suggérais-je.

« Veuillez expliciter votre activité actuelle. »

         Je lui tournai le dos pour lever les yeux au ciel et désignai la vitre.

         - Je programmais le nettoyage automatique.

De l’eau se mit à couler le long de la paroi, confirmant mes dires et me sauvant la mise. Le drone balaya le balcon de sa caméra, saisissant chaque détail avant de braquer de nouveau son unique oeil sur moi.

« Veillez à ce que cela ne se reproduise plus. Allez dormir maintenant, il est tard. »

         Et il s’en fut aussi rapidement qu’il était venu.

         Je pris le parti d’entrer et d’exécuter ses ordres. Une condamnation en bonne et due forme n’était pas dans mes projets futurs. J’entrai donc dans la pièce de repos, ôtai mes vêtements tout en gardant ma combinaison de survie et me plongeai dans le sarcophage emplit d’eau léthargique, le couvercle à demi-vitré se referma et je sombrai dans un sommeil sans rêve.

 

*       *        *

 

         Le Morpheus N34Xzeta s’ouvrit dès que le narcotique cessa de faire effet. À sept heure du matin exactement, comme chaque jour depuis la Création. Ce soit-disant jour béni ou les deux Deus, Airen et Valen de Wenobia ont recrée la Cité après la destruction quasi-totale de l’humanité il y a une centaine d’année. Exactement cent dix-sept ans. La Cité est désormais la seule ville de cette planète. Sortir hors de ses murs serait du suicide pur et simple. Tout est mort et désert au dehors et les combinaisons de survie, se nourrissant de l’énergie vitale de la Centrale, se déchargeraient si vite que nous mourrions après seulement quelques kilomètres.

         Je me hissai hors de ma caisse de sommeil et parcourrai les quelques mètres me séparant du purificateur Optimus F43Talpha, cette grande boite transparente, dans laquelle je me glissai afin de nettoyer de toutes les mauvaises particules de mon organisme et de sécher mon enveloppe charnelle des restes d’eau léthargique qui perlaient encore le long de ma combinaison de survie.

         En en sortant, j’examinai mes poignets. L’extrémité de la combinaison était à peine visible. Elle ressemblait à un simple film totalement translucide qui parcourait intimement tout mon corps, elle était quasiment imperceptible. Mais, en réalité, elle était bardée d’un millier de capteurs qui vérifiaient constamment mes signaux vitaux, que je pouvais consulter sur mon espace mental, et servait à me maintenir en vie et en excellente santé. S’il manquait quoique ce soit à mon organisme, une alerte était automatiquement envoyée à mon système mental afin que je règle rapidement le problème. Cette même combinaison devait être changée tous les mois pour éviter les dysfonctionnements qui pouvaient être fatals.

         Je soupirai. Ce n’était pas tant d’être dépendant de cette chose qui assurait ma survie qui me dérangeait mais, plus le fait que j’étais engoncé depuis toujours, dans un carcan qui me couvrait du cou aux orteils. Encore une preuve subtile de la mythique liberté. Seuls mes organes masculins restaient libres car, personne n’avait encore trouvé la solution aux « problèmes » de la contraction inopinée de cette partie de l’anatomie humaine. Quelle aubaine… Vu que les contacts physiques étaient prohibés hormis durant les « reproductions ordonnées », je ne voyais décemment pas à quoi cela aurait pu me servir d’ici les cinq prochaines années au moins.

         Je passai mes vêtements, un pantalon noir droit coupé dans une matière dite « bio-chimique », un tee-shirt bleu roy près du corps, fait de la même matière, ainsi qu’une paire de chaussures montantes noires. C’était la tenue réglementaire de la période chaude.

         Je me préparai rapidement pour mon jour de repos et allai donc « prendre le thé » avec le vieux Zhaan. Ce vieux fou avait réussi par je ne sais quel miracle à dévier les restrictions et avait de ce fait, une pièce souterraine absolument indétectable. Les hologrammes qu’il avait crées étaient également époustouflants et prenaient nos signatures hypodermiques à la perfection. Et tandis que nous passions nos après midi dans sa cave, nos clones détournaient l’attention. Zhaan avait enregistré quelques phases qui tournaient en boucle. Bien sûr, ce système avait des ratés mais, un drone ne stagnerait pas plus d’une minute devant la fenêtre s’il ne constatait rien d’anormal. Le sous-sol de sa maison nous offrait donc le meilleur sanctuaire qui soit, en camouflant aisément toutes nos ondes émettrices.

         Zhaan possédait la plus grande bibliothèque de la Cité. Techniquement ce n’était pas difficile étant donné que la lecture était hautement réglementée elle aussi. La censure était incontournable et peu de romans réussissaient à en réchapper.

Et tandis que je m’abreuvais de mots à n’en plus pouvoir dans ses souterrains, je remarquai un objet étrange, de forme elliptique posé sur la table métallisée. Je levai la tête vers Zhaan et l’interrogeai.

         - C’est à Jo’rel.

         Il m’avait déjà parlé de Jo’rel, c’était le petit génie qui bidouillait tous les objets électroniques sans se faire prendre. C’était grâce à lui que Zhaan et moi nous trouvions ici sans avoir été arrêtés. Mais quel que soit le temps que le vieux passait avec lui, jamais je ne l’avais rencontré. Cela m’importait peu mais, cet objet attisait ma curiosité et Zhaan ne savait pas à quoi il pouvait bien servir. Je devrais donc porter ma frustration sous le bras jusqu’à ce qu’elle se calme. Je triturai pensivement la bosse que formait ma puce électronique dans mon épaule avant de me remettre à mon ouvrage.

         Je décidai de rentrer une heure avant le couvre-feu, afin d’éviter les ennuis. Ce fut donc en trainant les pieds que je pris le chemin de la tour où j’habitais. Et ce fut précisément à l’intersection de la voie X239 et de celle de mon logement que les problèmes me tombèrent dessus. Littéralement.

         J’allais faire un pas de plus quand on me bouscula violemment et je me retrouvai hébété sur le sol. L’homme qui venait de me renverser se releva prestement et regarda derrière lui.

         - Attrapez-les !

         Je tournai la tête dans la même direction et vis, horrifié, un bataillon d’Agents foncer sur nous à vive allure. L’homme brun me fit face de nouveau.

         - Lève toi et cours !

Il se saisit de mon bras si vite que je n’eus le temps de protester et me retrouvai à courir malgré moi sur ses talons. Nous parcourûmes une grande partie de la Cité avec les agents à nos trousses quand il m’entraina vivement sur sa gauche et présentement en plein dans un mur. Ce mec était complètement dingue. La pression sur mon bras ne se relâchant pas, je fermai les yeux aussi fort que je pus, me préparant au choc. Nous courions toujours et tandis que j’estimais que nous aurions déjà dû être encastrés dans le métal, mon compagnon s’arrêta et j’entrouvris une paupière. Il faisait très sombre mais je devinai deux immenses bâtiments autour de nous, cette ruelle était une impasse, face à moi il n’y avait qu’une rue aveugle. Je me retournai et constatai que là où nous avions déboulé, ne se trouvait aucune issue. Je refermai les paupières et me massai le front.

         Quand je recouvris la vue, l’homme était accroupi au sol, avait posé un objet étrange sur le béton, une sorte de boitier minuscule noir où perçait une petit loupiote clignotante verte, et était entrain de déplier un écran tactile qui ressemblait fortement à ceux de l’espace mental. Ce qui était tout bonnement impossible car ces derniers n’étaient visibles que de leurs possesseurs et ne pouvaient trouver matière à exister en dehors du monde virtuel.

         - Vous êtes qui ?

         L’homme ne daigna même pas m’accorder une once d’attention et continua ses réglages. Il se releva après quelques secondes et s’approcha de moi. Finalement, il aurait sans doute mieux valu qu’il reste dans son coin car il sortit une lame de sa tunique et me saisit fermement le bras. Je tentai de me dégager ce qui ne l’ébranla absolument pas, il se contenta de secouer la tête.

         - Zhaan ne t’a vraiment rien appris.

Involontairement, je cessai de gesticuler.

         - Vous connaissez Zhaan ?

Mon inattention fut mon erreur, la lame transperça ma chair et disparue aussi vite qu’elle était apparue. L’homme se pencha sur mon épaule charcutée et siffla sous mes cris. Il saisit quelque chose dans ma plaie, me tendis un morceau de bandage de reconstruction instantanée et retourna à ses gadgets. Je touchai mon épaule et confirmai le fait que ma puce n’était plus là. Dans quels embrouilles m’étais-je fourré encore ? Si on me retrouvai sans puce, je n’osais imaginer les sentence que l’on m’appliquerait.

         Un micro drone, encore plus petit que ceux de la Centrale, se posta devant moi et se mit à me scanner de la tête au pieds, il retourna ensuite vers l’homme, avala ce qui semblait être ma puce et prit son envol. Je compris alors que les images qui apparaissaient sur l’écran venaient de la caméra de l’engin. Je restai bouche-bée quand je le vis pénétrer dans ma demeure, entrer dans ma salle de repos, la seule pièce aveugle de l’endroit, déposer la puce, ressortir et monter aussi haut qu’il put dans le ciel. L’écran devint noir.

         L’homme se releva, rangea ses affaires et m’entraina à sa suite sans un mot. Nous sortîmes de la ruelle par l’autre bout et je vis que nous passions à travers le mur. Inconcevable.

         Il commençait à faire nuit et nous nous faufilions à travers la Cité. Je ne me posai pas plus de questions que ça. De toute façon, sans puce, que je le suive ou non, je disparaîtrais tout simplement. Alors, qu’on me prenne avec un fugitif ou non ne changerait rien au problème. Nous serions prit dans tous les cas mais, j’avais la nette impression qu’il allait nous aider à nous cacher un bon moment dans la ville avant que nous ne soyons éliminés alors, autant prendre le temps qu’il pouvait m’offrir. Il me sauva d’ailleurs la vie un nombre incalculable de fois, alors qu’inconscient je failli me jeter dans les bras des Agents. Nous nous cachâmes dans un recoin sombre aux abords de la porte arrière de la ville et attendîmes. Quoi je ne savais pas. Toujours était-il que nous patientâmes.

         L’homme finit par se tourner vers moi et prenant conscience de son impolitesse, posa son poing sur le coeur dans un salut qui, je l’avais vu dans les livres de Zhaan datait des années 2710 du calendrier chrétien, soit plus d’un siècle auparavant.

         - Je me prénomme Jo’rel.

         Cet aveu ne me surprit guère étant donné ses compétences en matière de bricolage de drone. Tout ce à quoi je pensais fut qu’il avait des yeux d’une couleur que je n’arrivais pas à identifier. Ils paraissaient parfois d’un marron fauve mais avec un angle différent, ils devenaient grisâtre. Étrange. Réflexion faite : tout en lui était étrange.

         Il s’approcha de moi et ressortit sa lame. Je reculai, méfiant tout en me disant que c’était à cause de ça que mes problèmes avaient commencés. Il m’arracha presque le haut de mon uniforme, saisit mon poignet, passa la lame dessus et d’un coup sec déchira ma combinaison de survie. Je tirai de toute mes forces sur mon bras pour qu’il me lâche, je suffoquais, je paniquais, je ne savais plus que faire, j’étais entièrement perdu alors je me mis à hurler.

         - Mais t’es MALADE !

         Il plaqua aussitôt sa main sur ma bouche pour m’empêcher d’alerter toute la Cité et attendit que je me calme. Une fois fait, il m’ôta le reste de ma combinaison sans plus de cérémonie. Outré je me remis à me débattre. Sans succès. Je n’eus d’autre choix que de rester inerte pour qu’il me lâche. Seulement à ce moment, je pus remettre mes vêtements.

         - C’était nécessaire.

         - Et comment je vais vivre maintenant ? Demandais-je, affolé.

         - Tu n’en as pas besoin crois moi.

         - Et qu’en sais-tu ?

         - Je n’en porte plus. Plus depuis que je me suis fais disparaître de tous les registres.

         J’avalais difficilement ma salive. Il ne me laissa pas plus de temps pour m’en remettre, me hissa sur mes jambes, sortit un objet identique à celui que j’avais vu chez Zhaan, appuya sur un bouton et se mit à courir en me trainant par le bras. Nous allions droit sur l’entrée. Entrée entièrement sécurisée par des lasers de protection. Quel cauchemar.

         Il avait donc simplement attendu la relève de la garde. Nous traversâmes le portail et à mon grand étonnement ne mourûmes pas grillés mais aterîmes de l’autre côté.

Je me retrouvais désormais sans puce, sans combinaison de survie, sans rien de ce que j’avais jamais connu et livré à moi même dans un désert qui nous apporterait la mort à coup sûr.

 

 

 

         - Prêt pour une nouvelle vie ? Souffla Jo’rel en me regardant.

         - Il n’y a rien au dehors, seule la mort nous attend.

         - Il ne faut pas croire tout ce que raconte la Centrale mon ami.

         Jusqu’ici il avait eu raison. Sans combinaison je n’étais pas mort et nous étions pourtant à plusieurs kilomètres de la Cité. Alors, je me laissai sombrer dans ses pupilles et décidai de lui faire confiance.

 

         Peut-être était-ce lui ma lueur d’espoir ? Ma promesse de liberté ?



12/01/2012
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